Ptits bonheurs
Les glands tombaient des chênes. Il faisait encore nuit. Juste être là, le nez au vent, sur mon vélo, le nez dans l'air frais, le long du jardin public bordé de chênes immenses. Et les glands tombaient. Comme les notes claires d'un xylophone, sur les carrosseries des voitures en files d'attente.
Les piétons hésitent sur le trottoir mouvant, film en noir et blanc, où un sac de billes se serait renversé au sol. Des craquements accompagnent la partition des chênes qui se déshabillent. Même le coq y va de son trémolo rigolo. J'adore ces minutes là. Oui, à Toulouse il y a des coqs qui cocoriquent et des paons qui léonnent. Et moi, qui longe cette vie, sur mon vélo.
J'aime cet instant quotidien. Cette ballade matinale de mes semaines. Croiser du regard les fenêtres allumées. Toujours les mêmes. Sourire à celle qui fume sa cigarette sur son balcon minuscule, avec son mug à la main, son peignoir immuable. Entendre dans la ruelle, à gauche, la sonnerie de ce radio-réveil qu'un dormeur a du mal à éteindre. Tous les matins.
J'aime partir à la même heure. Me réveiller avec eux. Croiser le camion-poubelle, les voir aussi ravis que moi de notre rencontre. Eux qui crient qu'"elle est là", coincée dans la rue trop étroite. Le chauffeur qui se serre et nos mots vifs de sourire pour la journée à venir.
J'aime passer le pont qui surplomble le canal qui fume quand il fait froid. Et lancer un regard aux péniches. Et rouler le long de cette avenue bordée de platanes aux troncs d'écorces blanches et brunes.
J'aime l'odeur du pain qui cuit quand je file devant la boulangerie, et les pas-encore-petits-vieux -mais pas loin- qui ont déjà leur baguette et leur quotidien sous le bras. La casquette sur la tête.
Ces instants là, ils sont comme des petits bonheurs. Simples et précieux. Plus précieux encore de penser parfois à ceux qui affrontent déjà les premiers embouteillages sur le périphérique, dans leur caisse de métal, ceux qui attendent leur métro dans un sous-sol aux néons cruels.
J'ai de la chance et je le sais. De ma ballade quotidienne sur mon vélo, de mon regard folâtre qui ne cherche rien, et surtout pas une place de parking dans la ville saturée d'automobiles.
J'ai de la chance d'avoir des jambes qui aiment danser la gigue avec moi, tous les matins, à la même heure.