Pour Toi
La ptite était tombée. Elle n'avait pas vu le caillou au travers du
chemin. Il faut dire que la ptite gambadait toujours le nez en l'air,
la tête penchée. Elle allait en sautillant, laissait à ses pieds le
soin d'avancer sans faillir.
La ptite était tombée. Elle pleurait en
silence, tenant son genou replié contre sa tête. Il n'aimait pas la
voir pleurer sans rien dire. Il détestait ses larmes silencieuses. Cela
voulait dire qu'elle avait mal. Quand elle se cognait, toute la maison
entendait ses cris. Pour un simple bleu. Mais là, elle ne bougeait
plus, pleurait doucement, recroquevillée. Il se pencha vers elle, tenta
de déplier doucement ses bras croisés autour d'elle.
La ptite le
regarda, de ce regard qu'il détestait, les yeux écarquillés de peur.
Mais non, je ne vais pas te faire mal, allons, laisse-moi regarder,
s'il-te-plaît. N'ai pas peur. Tu sais bien que je ne veux pas te faire
du mal. Jamais. Regarde, je souffle d'abord, tu veux bien ? Elle
reniflait un peu, ses épaules secouée de quelques sanglots encore. Il
prit un mouchoir pour lui essuyer les joues, pour moucher son nez. La
ptite se laissait faire, oubliait sa douleur.
La plaie était vilaine
; il n'aimait pas ça. Il faudrait nettoyer, frotter un peu. Elle aurait
mal, c'était sûr. Alors il la pris dans ses bras. Elle se pelotonna, et
il sentit son coeur qui fondait de la sentir s'abandonner.
Il
lui donna un bonbon avant de commencer les soins. Il fallait le faire.
Prendre un coton et fouiller un peu la chair éclatée. Mais elle ne
disait rien, le regardait en suçotant son bonbon.
Il attrapa le
mercurochrome. Hésita, détestait l'idée de ses doigts qui seraient eux
aussi rougis. Il avait passé l'âge d'aimer se tatouer de rouge, et
portait encore des pigments de la peinture des volets incrustés sur ses
mains. La ptite aimait ça, que ses blessures se devinent du premier
regard, que tout le monde voit comme elle s'était fait mal, et aussi le
sparadrap avec un dessin dessus. Elle se sentait mieux, malgré la
brûlure de l'eau oxygénée. Il avait soufflé longuement, lui avait
caressé la tête, tentant de remettre de l'ordre dans ses mèches. La
ptite sourit, le voyant hésiter, le flacon à la main. Elle lui murmura
en souriant ; Mamie dit qu'il suffit de prendre le coton avec une
pince à linge, tu sais.... Il la regarda avec fierté, avec un amusement
non feint. Elle était rigolote, sa ptite, si sérieuse et mutine à la
fois. Il l'aimait. Et le lui dit.
Elle le regarda droit dans les yeux. Et éclata de bonheur. Moi aussi, je t'aime, très grand beau et fort, tu sais.