Prison dorée
J'ai du chagrin. De celui en habits passe-muraille, en oeil humide et coeur gris, en chanson de pensées amères.
J'ai du chagrin. Du vrai gros qui prend le coeur dans une cage sans fenêtre. Du pur et dur qui fait trembler le menton et avoir froid dans un pull mousseux. Du vague à l'âme qui me hante. Des larmes qui ne me demandent même pas, les malpropres, l'autorisation de tracer des rigoles jusqu'à ce sourire toujours là, en rictus. J'ai le mal d'aimer, le mal de regarder l'absence. Ne suis-je donc que dans le partage ? Même illusoire, là, sur ce blog ? Que recherchai-je ici, en jetant mes mots à la mer ? De donner du vide en rêvant qu'il entraîne des chevelures colorées de poussières ? Depuis quand le vide a-t-il un pouvoir ? Celui de créer des étoiles noires qui dévorent ?
J'erre, lamentablement. Pose les mots entre deux rires, deux larmes. Tente l'indicible, le cri muet, le fou rire communicatif.
Et pourtant, peu à peu, les barrières à nouveau se dressent. La muraille qui m'a toujours protégée se monte, moëllon par moëllon. Je crois même que j'ai creusé des douves, devant. Si, par mégarde folle, quelqu'un avait eu le coeur à franchir l'eau saumâtre.
J'ai le chagrin chevillé à tout. Tout et rien. Puisque je suis si vide moi-même. Oh, je peux faire illusion, le temps d'une chanson.
Mais je ne suis pas née comme cela vous savez ! Il semblerait même que je sois fichtrement optimiste, de tenter d'ouvrir parfois le pont-levis. Sans grincement de rouille. J'ose abaisser les chaînes. Laisse les regards me parler. Puis tout s'évapore , sans que je ne m'y attende jamais, et je deviens alors malléable. Boule de mie de pain à façonner. Qui se noircit de rouler entre les doigts habiles qui la modèlent. Puis s'effrite en s'enfuyant. Alors, le coeur gros de chagrin, je vibrionne, amassant terre, gravier et ciment, ferrailles et moëllons. Je travaille en chantonnant. Et quand les murs sont bien épais, je m'assois dans ma prison dorée. Et je pleure. Sans dire rien d'autre que le silence de ma vie.
Parfois je chante à tue-tête, les chansons d'amour des autres, en punition. Je hurle comme le vent dans les falaises. Me referme tel un coquillage. Seule une lame pourrait ouvrir ma prison grise de calcifications.
Mais pourquoi parler au vent du temps ? Au vent vert de la mer ? Saurait-il souffler les mots que j'ai en moi ? Je suis lasse.
J'ai le chagrin-encré dans mes mots et le chagrin-ancré de mon lourd silence. J'ai du chagrin plein la tête.
Et ce soir je vais danser, et rire, en rêvant de soupirs de grands coquillages sur le sable. Je vais faire illusion dans mon habit noir. Et mon sourire en toc.