Elle et eux
Elle,
mon amie
Elle parlait, doucement, avalait de longues bouffées de fumée en souriant étrangement. Elle était
toujours si absente, pourtant. Marguerite aux feuilles une à une
détachée par des doigts impatients. Il ne restait que son coeur poudré
de soleil et si lourd.
Elle me parlait de son amant-du-moment, me racontait leurs rencontres. Si gaies et frivoles, leurs
rires, leurs peaux. Elle secouait sa cendre doucement, avec attention, comme si ce
seul geste était vêtu d'une importance extrème. Sa voix s'enrouait. Elle me
parlait de son parfum qui devenait fardeau, de la poudre jaune de son coeur, qui
salissait sa poitrine, qu'il fallait bien secouer. Son amant-du-moment (...) Comme Elle en parlait tendrement, toujours. Et aussi d'Elle, comme putain qui se dégoûtait de se donner ainsi. A corps perdu dans ce mélange qui lui brûlait la peau de mensonges. Elle riait,
et sa voix rauque mentait. Son lit aux odeurs précieuses, les draps
froissés qu'Elle ne dépliait pas, le soir. Comme il était aveugle, mais comment le blâmer de ne pas savoir, de ne pas la voir. Elle mentait avec un sourire radieux ! Comme un enfant qui a fait une bétise sans importance. Elle lui
donnait son corps, se vendait l'âme pour devenir un moment une autre. Une
femme qu'il aurait pu aimer. J'aurais voulu l'appeler, lui crier de ne
pas la blesser. Au moins cela. A défaut de l'aimer, de ne pas ... Non,
mes pensées s'arrêtaient. De ne pas quoi ? Comment la faire s'aimer ? Elle ?
Je l'écoutais parler, se taire et sourire. Je l'écoutais de mes yeux
remplis de larmes de ne pouvoir l'aider. Elle était déjà morte. Elle le
disait, et je finissais par y croire, moi aussi.
Comme Elle pouvait être "attachante" ! Cela la faisait rire, ce petit mot que eux, amants-du-moment, copies si fidèles, lui collaient à l'âme.
Attachante ! "Comme une tache qui résiste aux lavages", avait-Elle
rajouté en riant ! Je les comprenais alors, en la regardant rayonner de
son sourire. Oui, je la trouvais attachante, moi aussi, bien sûr ! Si
je ne la connaissais pas depuis trente ans j'aurais été dupée. Qui
pouvait la voir, puisqu'Elle ne se dénudait pas ? Son amant-du-moment ? Il ne voyait que sa peau, bien sûr ! Fouillait de son sexe et de sa langue ce qu'Elle lui donnait, taisant le coeur poudré de jaune qui se courbait sous son corps. Puis Elle se lavait avec application. Comme salie de s'être laissée aller à s'ouvrir, troublée à chaque fois.
Pourtant certains l'avaient aimée. Je les avais vus de leurs regards l'envelopper toute entière. Et Elle riait.
Comme éclairée de se croire en paix. Mais ils voulaient la changer, la
faire devenir plus conforme, copie certifiée de son sourire-toujours. Elle disait "putain de sourire, je le hais". Et Elle se blessait de ne pas être aimée toute entière, avec ses failles, ses peurs. Ils n'en voulaient pas, de ses maux. Alors Elle partait. Faisait sa valise, pliait consciencieusement ses sentiments, son chagrin violent, son amour blessé.
Elle parlait, doucement, avalait de longues bouffées de fumée en souriant étrangement. Elle était
toujours si absente, pourtant. Marguerite aux feuilles une à une
détachée par des doigts impatients. Il ne restait que son coeur poudré
de soleil et si lourd.