Un poivron, juste un simple poivron!
Monsieur Toi à Jardinerie de Toi et Moi
Monsieur, je vous prie de bien vouloir prendre en considération ma requête, en juste réparation du préjudice que j’ai subi, suite à une malencontreuse erreur de votre part. Sachez que cette erreur, qui vous paraîtra de prime abord fort banale, a cependant eu des répercussions dans ma vie. Oui, le mot n’est pas trop fort.
Ecoutez mon histoire, si, prenez donc le temps de l’écouter, vous comprendrez ainsi mon désarroi.
Il y a quelques mois, alors que j’errais dans les rayons de votre boutique, mon œil fut attiré par un plant aux feuilles brillantes, avec, de-ci, de-là quelques poivrons, suspendus comme boules de Noël à l’arbuste. Le pot dans lequel il s’épanouissait était une mosaïque de morceaux irréguliers mais très colorés, sans dessin précis. Quand je le vis, sa couleur bleue, prédominante, me fit penser à la couleur de Marie, ce bleu virginal, signe de pureté. Je me rendis donc dans les divers étages de votre boutique, guidé par votre vendeur si habile à voir mon œil envieux devant l’ensemble, bien décidé à me procurer pot, terreau et graines. L’emballage le précisait bien, il s’agissait de poivrons, monsieur, de simples poivrons. De ceux dont on peut couper des lanières fines, que l’on croque en bouche avec un bout de pain frais et une pointe de sel. Arrivé chez moi, j’ai tapissé de quelques graviers le pot, l’ai rempli de terreau à l’odeur suave, ai rajouté un peu de marc de café, dont je sais que la plante est friande, parsemé la surface de quelques graines brunes, humidifié l’ensemble. J’étais un peu impatient, mais je sais combien les graines sont longues à s’ouvrir, à percer de leur germe la membrane qui les entoure. J’avais bien entendu choisi le printemps, au soleil clément, aux températures douces, pour jardiner. Ne riez pas, monsieur, mais je lui parlais parfois, l’encourageait à prendre de la vigueur. Une graine plus vaillante que ses sœurs souleva bientôt la croûte fine de la terre, et son germe blanc se redressa, prenant bientôt la couleur verte, source de vie. Des feuilles apparurent, elles étaient si fines, comme ombres d’elles-mêmes, que je doutais qu’elles puissent devenir aussi vigoureuses que celles de cette plante qui m’avait tant séduit chez vous. Je me trompais, bien sûr ! Mes soins attentifs la virent se redresser, de plus en plus sûre d’elle, comme indépendante de moi. Quelques fleurs me dirent « nous sommes promesses de fruits », je laissais donc les abeilles jouer avec elles…je ne vous cache pas qu’une pointe de jalousie me pinçait parfois le cœur de les voir ainsi tourner en éclats légers autour d’elles. Les premiers fruits apparurent, à ma grande joie. Jolis poivrons verts, dont l’ardeur du soleil teinta bientôt de rouge la peau brillante. Si vous savez, monsieur, ma fierté d’avoir pour moi tout seul ce joli pot en tout point semblable à celui qui me fit briller les yeux dans votre boutique. La gourmandise mit un terme à mon impatience, je détachai un fruit, non, un légume ! J’aime tant les poivrons que je les nomme souvent fruits ! Mais ceci m’éloigne de l’objet de mon courrier… Je le croquai, avec gourmandise. Ce n’était pas un poivron, monsieur, mais un piment. Piquant. Qui brûla ma bouche et mes sens. Oui, ma vie en fut bouleversée. Certes, je parle de la vie de mes sens, mais malgré tout !monsieur ! Je découvris avec stupeur la saveur piquante du piment. Et depuis, un simple poivron laisse en moi un goût de parfum perdu. Je regarde ce pot là, ces fruits là, et ma main ne cesse de les regarder, fruits diaboliques dont je regrette d’avoir connu cette première bouchée, qui en appelle tant d’autres. Monsieur, comprenez bien la gravité de cette erreur de graines. L’emballage était trompeur, je vous l’assure. Un poivron, je l’aurai croqué, puis oublié. Ce piment là, j’en aime le crépitement et la rougeur qui m’enflamment de le porter en bouche. Comment maintenant, alors que les heures froides de l’hiver approchent, dites-moi, comment faire refleurir ce plant là ? Je crains qu’il ne puisse que de soleil et de la chaleur de l’été se nourrir et vivre. Monsieur, devrais-je vraiment attendre tant de mois pour en retrouver le piquant qui m’enflamma un instant si bref ? Comment le faire refleurir, alors même que les jours raccourcissent, que le soleil pâlit ? Vous seul pouvez m’aider, en réparation de cette erreur.