Etoile noire
Il regarde autour de lui, inspecte les pièces une à une. Tout est
ok. Pas nickel-nickel, mais correct. Pas trop rangé, mais au moins
propre. Il n'y a pas de slips qui traînent ou de trognon moisissant au
coin d'une étagère. Ca ira bien, quand ils viendront.
Il enfile
son blouson. Ferme un à un les fermetures et les boutons pressions.
Avec des gestes familiers et mécaniques. Pas besoin de réflexion. Il
fait cela depuis si longtemps. La cagoule et l'écharpe. Pour ne pas
avoir froid. Il se demande comment son corps fait pour y être toujours
sensible. Alors qu'il sait bien que le néant a déjà rongé un à un tous
les organes. Il y a une étoile noire, avide, qui l'habite. Mais la peau
est là. Vive et sensible à la morsure du froid. Elle n'a pas oublié les caresses douces qu'elle y déposait de ses lèvres tendres.
Sa peau qui se désquame en pellicules ternes. Elle l'aurait massé avec
de l'huile d'amandes douces, en riant doucement, de son rire de gorge
qu'il aimait tant. Sa voix serait devenue rauque et ils en auraient ri.
Tu ne peux pas dissimuler tes émotions, mon amour !
Il
prend les clés et ferme la porte. Comme d'habitude. Ils ne doivent pas
se douter de quoi que ce soit. Surtout lui. Il ne comprendrait pas, se
sentirait coupable de n'avoir pas vu, pas compris. Il n'y peux rien.
Pauvre gosse. Quand elle était morte il lui avait pris la main, sans un
mot. Et ils avaient pleuré en silence. Elle leur manquait. Pourquoi
t'es partie, merde ! Fallait pas tant nous aimer, fallait pas. Tu
n'avais pas le droit de nous planter là, nous deux. Comme deux orphelins.
Je n'y arrive pas. Je n'ai plus envie. J'ai essayé, tu sais. Mais je ne
peux plus faire semblant. D'être le papa si admirable. Quel beau veuf
que voilà. Ils s'occuperont de lui, ne t'en fais pas. Mes parents et
les tiens. Il y arrivera. Il a ton caractère. Moi je ne peux plus.
Il regarde la moto, époussette machinalement la selle, enfile le casque et les gants.
Tu me manques, accrochée à ma taille, si fine que je ne te sentais pas.
Je vais aller là-bas, près de ce lac où nous avions passé tant de
dimanches. La route en lacets est parfaite. Personne ne se doutera
que... Bien sûr que non, ils s'en douteront ! Mais personne ne pourra
jamais affirmer que... Personne. Pas lui, ne t'en fais pas. Surtout pas
lui. Je vais te rejoindre. Je vais m'oublier, comme tu nous as oubliés.