Déséquilibre
Tu l'as volée. La balance de mes choix à venir. Tu as pris ma main
et m'as fait lâcher la prise. Celle qui me permettait de gravir MA
falaise, et tu
en as profité pour dérober un des plateaux. Balance manchote. Inutile.
Comment peser mon à-venir ? Un plateau. Pourquoi m'avoir
ainsi amputée. Il doit être dans ta
poche, ce plateau ridicule, tenant compagnie à ce bout d'aspirateur oublié, à ces cartes
empilées que tu fouilles en pestant. Comment vais-je pouvoir peser mes choix ?
Tu me parles, le plus doucement possible - "Et si cela te faisait encore plus de peine que ton chagrin d'aujourd'hui ? " et je regarde ma balance inutile. Pourquoi poses-tu la question ? En quoi cela te regarde-t il mon chagrin à moi ? Entre
des heures d'amour volé et la douleur, après...tu veux donc que je
choisisse ? Comment soupeser mon chagrin, oscillant
entre présent et à-venir à choisir ? Balance amputée, au plateau perdu dans ta
poche. La gauche. A côté du truc, là, qui bat la
chamade parfois.
Stupide voix hoquetante et reniflante. Je me hais. De n'avoir
pu davantage jouer le jeu de l'amante rieuse, de l'amante silencieuse,
de l'amante amoureuse. De l'amante muette, et invisible.
Te rappelles-tu ? Quand elle est partie dans l'ambulance. Qu'elle allait mourir. Et que tu
étais venu me rejoindre, me serrer si fort dans tes bras, pour aider ma peine. Je
n'ai pas pleuré. Pas avec toi. Pas devant toi. Je ne pouvais pas.
T'en souviens-tu ? Quand
tu m'as dit d'une voix étrange, en m'enlaçant toute entière - " Tu parles de nous comme si c'était
notre histoire était au passé" et mon silence asphyxié t'avait suffi, alors. -"
Depuis quand as-tu pris ta décision ? ". Tu comprenais, et je ne
pleurais pas. Pas devant toi. Non, surtout pas.
Et voilà que le déséquilibre s'est produit. Tu me l'as volé, le plateau de ma balance à la mécanique si bien huilée.Je
l'avais raccroché avant, ce putain de téléphone. Je le savais bien que
j'allais finir par pleurer. Oh, je me déteste de ce chagrin parfois qui
m'envahit. Animal mal dressé. Et
toi, qui as rappelé, si peu de temps après. Juste les minutes
nécessaires avant que ... Que je ne sois assez forte pour ne pas céder
à ma peine. Juste à temps pour que je
m'écroule, en sanglots, de t'entendre à nouveau. Me parler de quoi
? Tu voulais juste -enfin- m'entendre pleurer à gros sanglots
stupides ? Cela te rassure donc de savoir que je pleure parfois ? Que
voulais-tu d'ailleurs ? Me dire la neige
à venir ? Les flocons à faire fondre ? Sur nos langues
séparées de quelques vies. Oui, je t'ai
promis. J'irai, je ferai. Nous partagerons cela. Et tu en seras
heureux. Les yeux bouffis, les joues trempées, j'ai promis. J'ai tenu ma promesse...Tu me rends le plateau de ma balance en échange ?