Points de suspension
Elle avait choisi les mots un à un.
Quelques mots doux, qu'elle tissait en voile de soie.
Qui se poserait sur sa peau.
Quelques mots durs, qu'elle égrenait en collier.
Qui enserrerait son cou.
Elle
déposa ses mots au ciel béant. En points de suspension. Et attendit.
Que les vent vienne les ensouffler. Ses points de suspension, d'interrogation. Les entourbillonner. Les virgules et les petits
points, les blancs et les lettres. En musique qui la ferait rêver et
tournoyer. Elle attendit. Longtemps. Levant ses yeux grands ouverts vers le ciel béant et immobile.
Elle
ferma les yeux. Reprit ses
mots déposés en offrande ignorée. Rageusement, entre ses deux paumes
rêches de se taire, entre ses doigts noués de ne rien étreindre.
Brutalement, déchira la soie, arracha le fermoir.
Un
à un ils tombèrent
dans la boîte. En bois blond. Un à un, se mélangèrent en silences mats.
Ne
voulaient plus rien dire, en embrouillaminis de points de suspension
bêtement accrochés aux points d'interrogation. Ils ne chantaient plus.
Se
serraient les uns contre les autres. Les petits points tremblotants,
les virgules soumises. Dans un silence étrange, ils se terraient.
Attendaient dans le noir qu'elle
soulève le couvercle de bois.
Elle
regarda la boîte.
Vissa le couvercle, pour être bien sûre qu'elle
ne s'ouvrirait pas de sitôt.
Contempla ses ongles comme si rien n'était
plus intéressant soudainement que ces lunes noires. Devant le ciel béant qui se taisait. Encore des mots. Ils s'étaient
cachés là, décollés de sa peau en écorchures sales. Elle saisit la lime de métal, râcla en
ricanant les mots perdus.
Elle s'assit devant son écran. Écrivit.
Froissa ses doigts, effaça les caractères résistants. Sélectionna et
écrivit en blanc sur blanc. Silences éclatants. En noir sur noir. Paroles muettes. Pour personne. Pour la
page blanche de ce ciel béant. Pour les mots transparents des
poèmes rêvés qu'elle ne saurait jamais noircir d'encre.
Elle choisissait les mots un à un ... en points de suspension.