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Motus et bouche cousue
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28 septembre 2005

Le musicien

Chacun des mots était note. Chacune des notes était mot.
Il en posait un, puis un autre, sur les lignes de la partition. La plume écrasait les fibres du papier, crissait de l'encre qui s'écoulait en aplats.
Sa musique se devait d'être tout cela, le vent, l'eau et la stridulence. La neige crissante ou feutrée, le chuintement du gaz ou la bulle de chewing-gum en crevaison écoeurante. Elle seule décidait de la violence du tonnerre ou de la feuille craquelante en bruit sec.
Chacun des mots.
Ne pas en oublier.
Ceux des puanteurs douloureuses, et les bulles de salive du mourant. Le chuchotis des corps, les glissements gargouillant de sueur. Musique du monde - de la vie - de la mort. Crépitement du sel sur les braises et clapotis des larmes sur la feuille.
Halètements en demi-teinte de cris, hurlements rauques et glacis de lèvres jointes. Articulations en craquements secs ou langues gluantes de caramel.
Ils avaient un sens, bien sûr. Il fallait les écrire en notes. En bémols ou en dièse, qu'importait ! Les lignes de la partition se noircissaient de ses mots. La clé attendait, ronde et élancée, maître incontesté.
La clé. Mais lui seul savait ce qu'elle ouvrait de symphonies inachevées.
Les souffrances tues et les sourires mauvais. Les crevures de ses amours perdues et les cris de la déraison. Il agonisait ses mots de haine, fondait ses mots d'aimants en fusion. Soupira.
La plume se desséchait, l'encre collait en paillettes noires. Il humecta de sa langue la pointe d'or, saisit le goût âpre de la couleur suie.
La ronde lui prit l'âme en un soupir feutré, succion de ses seins, clapotement de la langue dans sa bouche. Ses cheveux se froissaient en taffetas glacé, ses narines saccadaient son souffle, son sexe bruissait en chuintements brûlants.
Croches apposées en grincements de dents, craquement de mâchoire fermée de rage. Expirer l'air en soupirs fétides, alvéoles qui se dégonflent dans un râle étouffé. Saisir le souffle, la tempête, le suave de l'amertume et de la rage avalées en déglutissements douloureux.  Acidité en gouttes corrosives qui s'accrochaient en croches aigües sur les lignes de sa mémoire.
Écrire.  Écrire en note de mots sa vie accidentée de silences.
Sa main froissa  rageusement la feuille.
Les flocons de sa mémoire blanchissaient le plancher de ses musiques tues.

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Commentaires
M
Merci à vous tous. L'ivresse d'écrire surprend parfois sans que rien n'y prépare.
C
Oui, c'est magnifique, chère Mouette<br /> Ecrire...des symphonies de mots...je connais aussi cette ivresse
D
Celle de Niguel Kennedy l'est aussi
M
Merci d'écouter ces mots musicaux, ces notes silencieuses. Comme Dia, que chacun écoute ce qui déferle et l'habite. Moi, c'est Vivaldi, par Vanessa Mae...
T
Entre symphonie des tourments et mélodie des silences.<br /> Un texte musical à danser.<br /> Bravo.
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