Où mange-t-on ce soir ?
Devinez ! Mon appartement était le plus grand...puisque je disposais d'une cuisine, une vraie, avec une table et six chaises ! Je l'avoue maintenant, j'avais tout volé. A la faculté des sciences. Oui, la table et les chaises. Nous avions parcouru trois kilomètres à pieds, mes amis étudiants et moi, la nuit, avec tout cela sur la tête. Oui, j'ai honte. Mais aujourd'hui seulement. Au moment du vol, je ne voulais que pouvoir m'asseoir et poser des assiettes. Ne me demandez pas d'où elles venaient. Bon, si, du restau U. Les couverts aussi. Nous avions si peu ! J'étais la petite"paumée" du groupe. Eux vivaient de trois fois rien, surtout de ce merveilleux thé-vanille, qui arrivait par colis précieux, et que nous partagions à grands bols. Nous étions tous fort minces !! Mais heureux, vous n'imaginez pas combien. Comme la bohème que chante Aznavour ! Nous formions une sorte de communauté, parlions des heures durant du monde, de ces études qu'ils faisaient -presque tous en médecine ou en pharmacie-. De leurs pays où la misère ou la guerre régnaient (Liban, Madagascar, Afrique noire). Des espoirs que leurs familles fondaient en eux. Ils m'avaient pris sous leurs grandes ailes bigarrées, certainement plus tristes que moi de me savoir exclue de ma propre famille ! Ils m'ont portée, m'ont soulevée au-delà de la peur que j'aurais pu connaître, au-delà certainement de ce que j'aurais pu advenir, seule et sans argent dans une grande ville.
Allez, je ne résiste pas, je vous raconte d'abord comment j'ai fait leur connaissance ! J'en meurs d'envie !!! Donc, jeune étudiante, je me dépêchais d'acheter des tickets pour le restau U avec mes économies, seul moyen de m'assurer de manger ! C'était fin août, pas encore d'arrivées massives étudiantes. Tête baissée, dans le self désert, me faisant le plus petite possible... bien évidemment toute seule à ces tables de 16... Et voici un immense corps déguigandé, surmonté d'une boule afro, qui me demande poliment s'il peut s'asseoir à ma table. Cramoisie, je bafouille un oui. Et le voilà, se présentant comme "Bébé", son surnom. Malgache, en 1ère année de pharmacie. Après m'avoir amadouée... "Bon, tu viens, je vais te présenter à mes amis"... Ciel, mais ils étaient une dizaine.. plus loin dans la salle.. à attendre que "Bébé" ramène la demoiselle esseulée. Prémédité. Tout était prémédité pour ne pas m'effrayer ! Surtout quand j'ai appris que "Bébé" passait en réalité son doctorat de biologie....Ils ont été mes amis extraordinaires. Quand je pense que j'arrivais à parler un peu créole avec eux, quel bonheur !
Et ce soir, on mange où ? Ben chez moi ! C'était presque un rituel. Chacun amenait un peu et nous en faisions des festins ! Surtout quand j'ai été équipée de table-chaise-couverts (mes amis, quel luxe! je sais, c'est du vol).
Tenez, une petite recette de soupe "comme une daube" ? Qui vous nourrit les plus affamés !
Faites roussir au moins trois oignons, vraiment roux, et rajoutez un morceau de lard fumé (de ventrèche si vous préférez), coupé en petits dés. Farinez très légèrement et rajoutez 1 litre de vin rouge, de l'eau, tout plein de thym, laurier, sel, poivre, romarin, ail, encore un peu d'ail...Humez le fumet, je vous assure, on croirait une daube ! Faites griller du pain rassis, il en faut beaucoup, hein ! (ne jetez pas le pain rassis, malheureux, j'en ai d'autres des recettes à vous donner), et, si vous avez de l'emmental, taillez le en tranches fines, qui fondront sur le pain croustillant. Pour Thierry et Phil, de gros cubes de pain plongeront directement dans l'assiette et en feront un soupe épaisse. A table !!
Quelle merveille que cette soupe. Et après ? Un café ou un thé-vanille. Et des heures à parler en dessert de mots d'amitié.