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Motus et bouche cousue
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3 juin 2006

Lui

Pendant des années j'ai détourné la tête. Ses sculptures me donnaient la nausée...

J'étais assise à la terrasse d'un café que nous, les collégiens de la petite ville du bord de mer, fréquentions. Je buvais une limonade, feuilletant au soleil le livre offert pour mes 13 ans par mes parents. Je l'adorais, Giacometti ! Comme d'autres étaient fan des Doors certainement.  Giacometti et Modigliani. Allez savoir pourquoi !
Le monsieur aux cheveux blancs, à l'allure si respectable, était assis à une table proche. Et il me parla de Lui, qui sculptait ces corps étrangement maigres et pleins de force. Il connaissait bien son oeuvre, me donnait le nom des oeuvres au fur et à mesure que je tournais les pages au papier glacé.
C'était tout près, il avait des livres qui me passionneraient, et même des reproductions.
Et je me suis levée. Et je l'ai suivi.
Oui, je sais maintenant. Je le savais aussi, à l'époque, mais.. Mais voilà, je me suis levée, et je l'ai suivi. Pleine de joie.
Je ne me souviens que de ses mots sur Lui. "Il aimait les enfants encore pré-pubères, au corps filiforme." C'est tout ce dont je me souviens.
Et de ma lutte pour échapper à cet homme. Et de son corps qui se frottait à moi violemment. Comme un chien. Mais j'étais forte. Encore plus forte qu'il ne l'était. Et il n'avait pas fermé la porte à clé. Dans la cage d'escalier, ses mains me retenaient encore violemment, mais j'ai réussi. A dégringoler la volée de marches. Serrant mon vêtement aux boutons arrachés. Frottant mes mains sur mon corps contre lequel il avait frotté le sien, pour en détacher la moindre particule. Je n'avais pas été violée, juste souillée par un animal. Qui avait du éjaculer dans son pantalon, nourri de ma peur, de mon dégoût de ce corps plaqué au mien.
J'ai oublié le livre de Giacometti chez lui, je suppose. Je ne sais même plus. Je voulais juste vomir. Et me terrer.
J'ai passé de longues heures dans une grotte, au bord de l'eau. Jusqu'au moment où la marée m'aurait emprisonnée.
Je suis repartie. Avec mon silence.
Et, pendant des années, n'ai plus pu regarder une sculpture de Giacometti sans en avoir la nausée.
...
Il se nomme "feu" en breton. Et je lui ai raconté. Ce que j'avais tu depuis toutes ces années. A lui qui connaît si bien son oeuvre. A lui qui alla même voir la tombe de son frère, Diego Giacometti.
Non, je te le dis, te l'affirme, non. Il aimait les femmes, pas les enfants. C'était un mensonge.
J'en ai eu la nausée, de nouveau. D'avoir accepté tant d'années de porter en moi la haine de Giacometti.
Merci de m'avoir, par tes mots, permis de ne plus avoir ce mal en moi.

giacometti_place_1948_basel

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Commentaires
M
Ségolène, je me souviens de ta note sur Giacometti... je n'avais rien écrit, j'avais fui...
S
Toujours autant de qualités de paroles et d'échanges dans ce blog...
P
oui... et moi, les mots de nietchze, ou ceux de celine...<br /> <br /> contente de te voir apte à nouveau à voir giacometti en paix...
M
Se dépouiller, à l'image de l'homme debout, de tout ce qui encombre le regard sur l'oeuvre... Tout comme j'ai appris à continuer d'aimer Dali, malgré ce que fut l'homme.
M
Ne pas confondre l'acte et l'homme. Ne pas attribuer à l'image l'intention que l'on ignore. Les professeurs de séduction utilisent toujours la beauté et l'intelligence pour capturer leurs proies et celui qui, nous rappelle si justement Bernerd Noël, possède le regard de quelqu'un, le tient à sa merci... C'est pourquoi il est si important de se désensibliser de certaines images mentales souillées d'émotions trop violentes pour ne pas être reléguées dans les limbes de la honte. La séduction est une forme de viol lorsqu'elle n'est pas symétrique. On donnait de belles images aux enfants dociles et complaisants à l'école ou des bonbons dans la rue. Aujourd'hui on peut les couvrir de cadeaux culturels jusqu'au vomissements. Choisir soi-même les images qui nous troublent délicieusement est la seule voie pour ne pas périr d'admirations fourvoyées...Giacometti était un être exigeant qui détruisait lui-même ses propres icônes, son frère Diego en savait quelque chose, lui qui les lui préservait pendant son sommeil car Alberto, toujours insatisfait en détruisait beaucoup. Il faut détruire les images qui nous font du mal et (re)garder celles qui nous bâtissent intérieurement.<br /> "L'homme qui marche" est un être dépouillé de tout ce qui l'encombre et il est impossible de débusquer le désir qui l'anime car il est celui inaliénable de celui qui le voit sans jamais le posséder.
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