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Motus et bouche cousue
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13 novembre 2005

La danseuse

Le plancher de bois vibrait. Les lumières tournaient en rondes saccadées. Les vibrations, les sons, les ombres et les lumières. Rien, plus rien n'importait plus, alors, plus rien. Elle entrait dans un autre monde, gommait sa vie dans un tempo étrange.
Elle posait son elle au coin de la table. Elle laissait sa carte de visite virtuelle à côté d'eux. Puis elle s'avançait sans réfléchir, là ; là où de l'espace était libre.
Elle n'était plus avec eux. Elle dansait. Dans un océan de sons. Qui la transformait en poisson fluide. Aveugle. Son corps bougeait de ses yeux fermés. Ses pieds ne se déposaient plus au sol. Elle flottait. Tournait. Seule, toujours seule. Elle aimait ne plus être rien d'autre que son bassin mouvant, que ses épaules libérées. Elle dansait dans sa tête, dans son ventre. Savourait la paix qui l'envahissait, les muscles qui se libéraient des contraintes.
Eux ? Ils la regardaient. Mais elle était aveugle. Ne le savait que parce qu'ils le lui disaient. Elle ouvrait parfois ses paupières, souriait aux inconnus assis, dont les chaussures battaient la cadence. Elle ne pouvait s'asseoir. Il lui fallait glisser sur les partitions, devenir membrane de batterie, corde de guitare. C'était une force qui l'habitait, une joie, une liberté exquise. Elle n'avait plus d'âge, plus de squelette. Libre. Elle était vent et nuages, ondes fraîches en vagues déferlantes. danseuse_bleue
Parfois un bras saisissait sa taille pour accompagner ses mouvements. Parfois elle souriait et se partageait en théâtre de mouvements. Elle se prêtait au jeu, brièvement. Donnait les ondulations de son corps en empreintes fortes. Dansait à deux corps. Mais ils apprenaient vite qu'elle n'aimait que la force libérée de son corps isolé d'eux.
Puis elle ouvrait les yeux, essuyait son cou perlé de sueur, allait s'asseoir un peu, dans la fraîcheur d'une salle. Parlait avec ces individus qui la connaissaient, elle, la danseuse solitaire. Parce qu'elle aimait aussi bavarder, de leur vie, de leurs drôles de chemins vers cette endroit de pénombre mouvante. Parler de tout et rien. Avec eux qui respectaient sa solitude. Elle était si différente. Dans son autre vie. Comment croire que c'était bien elle, qui pouvait jusqu'à l'aube laisser la musique l'envahir ?  Elle la danseuse solitaire au sourire posé, aux yeux clos ? Quand elle partageait un repas avec eux, parlait de sa vie si bien réglée, comme papier à musique, ils laissaient la surprise apparaître. Sa sensualité avait trouvé dans la danse le chemin de la liberté. Comment bouger ainsi à la lumière du quotidien ? Comment laisser son bassin onduler ? Ses pieds s'envoler ? Elle marchait vite et droit, les deux pieds au sol, alors. Elle était une autre. Quand la nuit arrivait, parfois, elle dansait. Jusqu'à l'aube. Apaisée et heureuse.

* "Danseuse bleue" Huile. Dominique Johansen

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Commentaires
M
Astérie, quel bel hommage tu fais là aux danseuses ! La peinture reflète la bougie, avec sa flamme bleue.
A
La danseuse est semblable à la flamme d'une bougie que la moindre vibration dans l'air anime.
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