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Motus et bouche cousue
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2 octobre 2005

Ses rêves

Ses yeux s'habituaient à l'obscurité. Il la regardait dormir.
Comme chaque nuit.
Elle avait besoin des volets entrouverts, de pénombre. Elle n'aimait pas la nuit noire.
Il ne bougeait pas, scrutant son visage. Même endormie elle vivait. Il observait chaque ride, chaque tressaillement. Où était-elle ? Quel était ce rêve qui s'évaporait quand elle se réveillait ? Il se rendait compte qu'il était jaloux de ses nuits à elle. Cela devenait son obsession, quand elle s'endormait. Il voulait savoir, voulait comprendre. Pourquoi gémissait-elle parfois ? Pourquoi semblait-elle suffoquer, happer l'air ? Il la réveillait, avant. Quand elle se débattait, criait ce "non" qui... Il n'eut jamais la réponse. Il  voulait la délivrer. De son histoire secrète, enfouie de ses mots, qui ne vivait que la nuit. Elle le regardait, lui murmurait, laisse-moi dormir mon amour, je ne sais pas, je dormais si bien, n'ai pas peur de mes rêves. Et fermait les yeux en lui souriant. Toutes les nuits. Malgré son amour d'elle, il ne la délivrait pas. Se sentait vain et impuissant à l'apaiser.
Elle s'échappait de lui, de son désir de tout savoir, tout connaître. Refusait de dire ses ombres. Ses monstres tapis.
Non, elle ne voulait pas savoir. Disait que c'était le problème de son inconscient de faire son petit ménage, pas le sien. Non et non, elle ne voulait pas savoir. S'il la questionnait trop sa nuit se gonflait parfois de cris brefs qui lui glaçaient le sang. Elle se vengeait dans son sommeil. Voulait lui dire de partir de cette elle qui ne le regardait pas.
Parfois son corps tout entier ruisselait, trempait ses cheveux. Elle grelottait dans son océan glacé. Elle se noyait, il en était sûr. Pourquoi se refusait-elle à lui parler? Pourquoi ne voulait-elle pas de son aide ?
Il l'aimait tant. Il l'aimait trop.
Dans ses rêves, elle se débattait hors de ses bras, luttait contre l'étouffement. Voulait être libre de rêver loin de lui. Rêvait d'une île déserte dans sa nuit. Peu à peu il nota les mots qu'elle gémissait. Il tendait l'oreille. Ses nuits se firent plus courtes, ses cernes se creusaient. Il guettait le moment où elle franchirait la frontière de ses rêves. Ses jours ne lui suffisaient pas. Il voulait ses nuits. Était sûr qu'elle rêvait un autre que lui. L'aimait dans ses rêves. Il la regardait se débattre s'il tentait de la prendre alors dans ses bras. Elle le trompait. Il le savait maintenant. Elle le trompait, avec un autre qu'elle aimait plus que lui, avec qui elle partageait ses nuits. Sinon elle aurait souri. Elle souriait la journée. Pourquoi était-elle effrayée la nuit ? Elle avait donc peur qu'il ne comprenne. C'est trop tard. Je sais maintenant. Tu ne t'échapperas plus de moi ainsi.
Il se leva. Dans la cuisine attrapa la lame qui brillait dans la pénombre.
Elle avait peur de la nuit noire.
Il s'approcha d'elle, qui dormait en gémissant.
Elle sourit, les yeux clos. Il la trouva si jolie. Pour un autre que lui.
Il planta la lame.
Elle avait enfin le visage si reposé.
Il s'assit et sanglota.

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Commentaires
M
Les rêves sont parfois destinés à ne jamais être dits. Peut-être étaient-ils tendres et magnifiques. Peut-être...
T
Ses terribles tourments étaient peut être bien tendres et magnifiques, qui sait?
M
Mea culpa...
P
j'ai dit : si on aime bien (car je m'attendais à ton objection).
M
Phil, non. Parfois on peut trop et mal aimer. Qu'il s'agisse d'un conjoint, d'un enfant, d'une boisson, de la vitesse, de tout ce qui est la vie.
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