Bataille
Ils m'attendent.
Sont pour l'instant cachés, à l'affût, derrière la noirceur d'encre.
Ils me guettent.
A
la première étincelle ils surgiront. Le combat sera inégal. Leurs
troupes sont infinies, et je suis seule. A les affronter, tentant de
contenir leurs rangs.
Demain, il faudra bien que j'accepte d'allumer cette lumière et de les regarder. Droits dans les yeux.
Je sais déjà comment il sera, lui, toujours raide et droit, leur commandant suprême. Celui de l'armée des nombres.
Ce 1 qui va me toiser de son sabre. Il est leur chef.
Mais il a des fortes têtes à mater. Par exemple le 9, qui se prend la grosse tête, ou alors le 8, toujours tordu dans tous les sens. Mais certains me donnent du fil à retordre, et 1 en profite pour les semer un peu partout ; par exemple le pervers 0, insaisissable, qui esquive toutes mes attaques. Je suis moins inquiète devant le lascif 6 qui s'assoit dès qu'il le peut, sur son derrière rebondi. Le 7 est plus dangereux ; il se protège d'un bouclier qui le recouvre totalement, et s'il m'attaque avec son ami 3
, aux crochets toujours ouverts, toutes mes forces me deviennent
nécessaires. J'ai réussi à infiltrer leurs troupes d'un espion qui me
guide, double 5 à la casquette retournée. Il tente de
m'aider du mieux qu'il le peut, mais je suis inquiète. Il m'a avoué que
leurs forces se sont reconstituées, que des troupes étrangères ont été
appelées en renfort. Il y a maintenant des % en nombre croissant,
quelques > et < sont aussi là-bas. Je sais aussi que 1 est secondé par 4, qui tente de toujours être raide et droit, de tous ses angles. Le 2 a été évincé, trop rond certainement ; je tenterai de le ranger à ma solde.
Demain,
il me faudra bien y aller. Allumer cet ordinateur. La gorge nouée,
découvrir leur nombre. Les regarder droit dans les yeux. Les affronter.
Demain.
Le combat est inégal ; mon armée est de mots.