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Motus et bouche cousue
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4 mai 2006

Allergie de mots

Il y a ces mots là, de la saison du chagrin, de la saison des mots-dits-sements de soi.
Cela avait commencé par une soirée de printemps. Cet air qui vous gêne a provoqué l'à-l'air-gît. Vous pouvez en détailler chaque seconde tant elle vous a mis à mal. Cela avait débuté comme dans un conte, vous savez, avec la fée-clochette fine et joyeuse.
Il y eut ce bruissements d'ailes. Et cette stridence légère que nul autre que vous n'entendait. C'était presque gai, presque inaudible. Puis la petite piqûre, d'un dard si fin que vous peinez à le discerner. Mais il s'est planté pourtant, juste sous la peau, dans la chair tendre. De son épine aux anneaux crochetés qui a libéré son venin. Oh, vous avez tenté de ne pas bouger, de vous convaincre que ce n'était rien : avez passé machinalement un peu de salive sur la peau piquée. Ce n'est rien, un mot volant, n'est ce pas ? La rougeur était bénigne, le gonflement léger.
Vous avez poursuivi le repas, à peine agacé d'en avoir été troublé. Mais il était déjà un peu trop tard, l'appétit était coupé. Vous avez soupiré de rage, des crochets se sont ridés entre vos yeux. Vous ne voulez pas. Surtout pas. Vous laissez aller à penser à cette piqûre bête. Un mot volant, ce n’est rien. Rien du tout. Vous reprenez la fourchette, triturez dans l'assiette. Et reposez violemment les couverts. C'est fini, vraiment, manger vous dégoûterait. Et l'autre vous regarde, vous, respirant plus profondément, le front agité de tressautements que vous pensez imperceptibles. Rien, ce n'est rien. Une piqûre de mot volant. Oublier, ne pas frotter, ne pas gratter la blessure. Même pas une écorchure. Un dard d'un seul mot, il ne peut faire aussi mal... pourtant. Alors vous avez déplié vos bras, enlaçant votre taille d'un bras apaisant. Et serré votre chagrin dans vos poings agrippés à votre chair. Mais vous l’avez entendu.
Le clapotis. Le ciel était noir d'étoiles qui n'éclairaient qu'elles. Le mot coulant était sorti de votre cœur palpitant de gargouillis. Il ne parlait pas, ne piquait pas, ce mot là. Ondoyait doucement jusqu'à broyer votre cou. Vous le saviez, et vous tentiez alors de respirer doucement. Juste un filet d'air, ce serait suffisant pour ne pas étouffer. Le mot coulant remontait lentement vers la nuque, vers la gorge. Et vous parliez d'une voix assurée, comme si de rien n'était. Ne pas laisser ce sale mot là, gluant et glacé, vous enserrer. Il ne fallait pas. Vous êtes plus fort que lui, n'est-ce pas ? Mais le mot coulant n’a cure de vos imprécations. Il fait son sale boulot. Et vous sentez peu à peu que vous suffoquez. N’osez plus ouvrir les lèvres, dilatez un peu plus vos narines, patiemment. Avec l’obstination de ne plus vouloir vous noyer dans un clapotis de bulles de salive. Votre cou est tout entier enserré. Et vos mots se font rares. L’autre est là, regardant votre mort dans l’âme, ne voyant que votre silence. Et vous souriant.
Alors vous souriez à votre tour. La piqûre fine boursoufle votre corps. Vous ne respirez plus qu’à grand peine. Vous souriez un peu plus, vous êtes poli, n’est ce pas ? C’est votre allergie, pas la leur. La nuit avance et vous savez que vous aller retrouver la boîte blanche qui vous apaisera.
Vous glissez la clé dans la serrure. Vous jetez votre sac et votre manteau. Ouvrez grand la bouche, laisser le râle contenu s’échapper.
La boîte est là. Avec ses rangées de comprimés carrés. Vous la regardez et savez que les mots volants, les mots coulants vont se dissoudre ici.
Et vous laissez les mots-calmants vivre jusqu’à en mourir. En lignes blanches.

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Commentaires
M
Ce beaume de mots, cet onguent en forme d'Oeuvre au noir (superbe livre de Marguerite Yourcenar), cette potion seraient source de bonheur, de paix ? <br /> Cet habit de peaux qui se décollent en lambeaux, mais signent aussi la mue nécessaire au renouveau. <br /> Je ne sais pas si je veux guérir de cela, en réalité. Je ne sais pas si la violence des mots n'est pas pour moi force vive.
S
Mouette il superbement écrit ce texte, je retrouve chez toi une qualité d'écriture, enfin une écriture qui me plaît, comme rarement ailleurs...
R
Est ce que des mots soie, des mots beaume, des mots doux ne pourraient pas soigner les mots-poison ? Les plus durs devraient être faciles à éliminer de sa mémoire et de son corps et les plus beaux rester comme précieuse potion de bonheur.... Un petit sourire Mouette ????
M
Les mots s'entendent entre eux à notre insu. Ils conspirent au revers de nos âges. Ils aspirent au bonheur de l'énonciation parfaite, c'est à dire achevée. Aboutie sans fard surnuméraire et pourtant habillée de vérités intimes. L'écriture est une peau vivante...
N
"Les écrits restent, les paroles s'envolent" certes pour des fois mieux se faufiler, se répandre, se gliser comme le brouillard qui s'infiltre partout de cette froideur qui lui est propre.<br /> Texte oh combien magnifique...
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