Professeur Mouette
Issu des archives de l’Humanité, voici un extrait – largement
tronqué et remanié, je m’en excuse - d’un article de P. Jourdana , paru en mai 2000. Il y écrit la critique d'un livre "Le Secret de Joe Gould" de
Joseph Mitchell, article qui porte le joli titre de ;
L’imposture magnifique du Professeur Mouette
(…) En 1942 (ça ne nous rajeunit pas, tout ça !), dans le
New-Yorker (non seulement c’était il y a longtemps, mais aussi aux
Etats-Unis !) J. Mitchell signait des chroniques de la vie
quotidienne, brossant le portrait de personnages qu’il choisissait le plus
souvent dans la rue. L’ivrogne, le paumé ou le dresseur de puces lui étaient
plus importants que le mondain, et il les traitait avec chaleur et bienveillance.
Par petites touches il découvre avec une émotion grandissante celui qui sera le
sujet de son prochain portrait, Joe Gould, " joyeux petit lutin émacié
" connu dans les années quarante de tout Greenwich Village. Toujours
attentif aux faits, sans aucune sensiblerie, Mitchell décrit un homme usé avant
l’âge, aux " longs cheveux frisés dans le cou et une barbe en broussaille
aux reflets roux ", portant sur le monde " le regard flou halluciné
d’un vieil érudit ". Figure tout à fait insolite, mais acceptée pour cette
raison précise dans le quartier de New York le plus artiste, Gould est diplômé
de Harvard, issu d’une honorable famille de médecins. Surnommé " le
Professeur Mouette " (titre du premier article paru en 1942) en raison de
sa faculté, prétend-il, à imiter cet animal et à traduire n’importe quelle
poésie en " langage mouette "… Joe Gould a choisi une vie marginale,
qui l’a définitivement appauvri, pour écrire une monumentale oeuvre littéraire,
L’Histoire orale de notre temps dont seuls quelques minuscules fragments ont
été publiés. L’Histoire orale a pour ambition de transcrire ce que Gould avait
entendu dans les bars ou dans la rue (il possédait une mémoire phénoménale),
des milliers de conversations de gens modestes, seuls véritables réceptacles
selon lui de la sagesse humaine. (…).
Et savez-vous pourquoi je vous livre ici la vie de ce Professeur Mouette ? Bien sûr, je ne pouvais que m'attacher à un tel surnom, mais surtout... ne croyez-vous pas qu'il aurait adoré tenir un blog, ce charmant lutin ? Il est mort en asile psychiatrique, en 1957. L'année de ma naissance.