Voiliers
Pour Sophie Lambert, d’une Mouette de France
De guingois?
Mes voiles, ma coque ?
De guingois ?
Mais alors l’Océan lui-même devrait-il n’être que Mer morte?
Savez-vous que même les lacs enchâssés connaissent la houle due au vent ?
Savez-vous
que ce qui naît de mes pinceaux ne m’appartient pas tout à fait ? Que
l’objet projeté a pris vie ? M’échappe ? Se défend de son existence
ceinte de bois rigide ? Comprenez-vous que quand je les ai déposés sur
les flots ils ont pris le large, m’ont fuie ? Mes bateaux se sont
baptisés voiliers. Leur empressement à fendre le vent de leur liberté,
leurs détours qui se fracassaient aux contours de la toile ont provoqué
des tourbillons insensés. Ne les voyez-vous pas ? Ne comprenez-vous pas
qu’ils vivent ? En dépit des points comptés, en dépit de ce carré en
quadrature du cercle !
De guingois.
Je vous ai écouté,
et ce petit mot m’a poussée à m’envoler à mon tour. Comme ces nuées
d’oiseaux de mer que je peins, inlassablement. J’ai pris mon vol,
voyez-vous. Ai déplié mes ailes, croisé des congénères aux mots
déployés, aux mots… de guingois….
De guingois.
Merci,
homme d’art, d’avoir introduit en moi ce germe qui, en frémissements, a
crevé la motte durcie de froid, a bousculé votre regard à l’endroit de
mon tableau. A l’envers redressé.
Oui, mes bateaux ont pris le vent du large, ils ont senti le vent gonfler leurs voiles en tourbillons de liberté.