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Motus et bouche cousue
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11 juillet 2005

Toi, gentleman-farmer

Quand j’étais bien jeune (et bien oui, je fus très jeune !), je travaillais dans un petit restaurant, comme cuisinière. Aucune cuisine transcendante, je servais à quelques habitués une cuisine familiale, pour le seul repas de midi. J’ai beaucoup aimé cette période de ma vie et ce métier auquel rien ne me prédestinait pourtant ! Evidemment je renversais un jour une poêle -où l’huile était chaude à point- sur ma main (fort heureusement en fin de service). Moment délicat, et l’on me trouva la main dans le congélateur, criant que non-non je ne l’enlèverai pas de là ! Toi mangeait ce jour là, et Toi était médecin. Il prit les choses en main, c’est à dire ma main en main. Comme Toi était plus grand que moi, parlait d’une voix forte et grave, je me fis toute petite et pleurnichai en silence humide pendant les soins… Bref, Toi vint tous les jours faire mon pansement. Chez Moi. A l’époque on n'avait pas peur des gens comme maintenant ! Bref ce fut ainsi que débuta l’histoire de Toi et Moi. Toi avait un papa professeur de médecine, une maman qui me faisait assez peur à l’époque, et ils vivaient dans une si grande propriété que je mis bien longtemps à savoir combien il y avait de pièces, étant donné que je m’y suis perdue plus d’une fois. Je fus accueillie de façon exquise chez eux, pensez-donc, la première à franchir le seuil…(parce que Toi avait quand même un appartement en ville, c’était beaucoup plus simple !). Père de Toi était très effaré que je n’aime pas le vin et je fus obligée de tremper mes lèvres sans grimacer dans moult crus qui auraient fait pâlir d’envie tout amateur de ce breuvage que je déteste. Toi était médecin, parce que Père en avait décidé ainsi. Il n’exerça jamais la médecine. Il voulait être agriculteur, et avait décidé de s’occuper des vignes et des terres familiales. Je le nommai mon gentleman-farmer, il était vraiment cela ! Mais un jour, Toi voulut que Moi partage autre chose que quelques instants… et il partit en vacances au Portugal (depuis il m’interdit de prononcer ce mot) pour réfléchir. Dans ces familles là, on réfléchit…Quand il sonna à ma porte, de retour, Toi me demanda en mariage. Ma réponse fut à la hauteur de mes certitudes de très jeune femme…«Tu as eu besoin de réfléchir pour savoir si ? Tant pis pour Toi ».

Toi es mon ami pour toujours, mon vieux garçon préféré. J’ai accompagné à ses côtés sa mère lorsqu’elle mourût il y a deux ans, chez elle, dans sa propriété. J’étais fière que Toi sois resté près d’elle jusqu’au bout, durant trois longues années. Chez eux, on ne meurt pas à l’hôpital, c’est beau et noble. Mère qui, à 93 ans, de son lit immobilisée, me disait le lilas en fleur, le temps à venir et les animaux qui venaient à naître (elle ne se trompait pas, savait la nature), ou savourait un peu de Porto avec du fois gras.

Puis un jour elle refusa l’eau tendue, dit « cela n’est plus nécessaire maintenant ». C’était un dimanche ; j’avais offert à Toi, en cadeau d’anniversaire, un week-end de liberté avec ses amis. Je restais près d’elle, toujours si lucide et digne. Elle refusa l’eau, attendit le retour de son fils et dignement mourut.

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Commentaires
Y
je suis d'accord avec toi rainette... très belle, digne…avec un soupçon de regret ?
R
tu as un don indiscutable pour narrer les moments de ta vie, qu'ils soient agréables ou moins gais... et j'aime, et là, cette histoire est belle, tout simplement.
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