Adieu
Mon Père est mort il y a un an. Ses cendres volent dans le Pays
Basque. J'ai eu de la chance, nous nous sommes dit Adieu (quoique,
"adieu", pour un libre-penseur, celà me fait sourire!).
Mon Père
nous parlait souvent de sa mort. Pour lui, c'était fin naturelle de
toute vie. Pour moi aussi. Mais combien de gens ai-je pu blesser
-involontairement- en ne craignant pas la mort. En parlant de la mienne
comme de tout autre chose, sans peur ni déni. En parlant de la leur,
sans savoir qu'elle était terreur pour eux.
Mon Père était d'un
intelligence extrême ; on parlerait certainement de surdoué de nos
jours ! (je vous donne l'exemple de sa scolarité lycéenne. Il passa de
la troisième à la première, puis passa deux bacs, en même temps, ne
sachant lequel vraiment choisir. Les obtint tous deux...). Bien
évidemment, je posais problème d'être fille "ainsi" ; peut-être
intelligente, mais surtout exprimant un vrai penchant pour les humains,
l'écriture, la vie avec les autres, mais pas pour les études. Mon
obsession fut donc d'obtenir mon passeport vers la fuite de ce Père là.
Bac en poche, admission à un quelconque concours, même mineure, j'avais
le droit de partir. Ce que je fis. Ils me coupèrent bientôt les vivres
(je ne les blâme pas, j'étais bien trop différente).
Je les revis
longtemps après, déjà maman de trois enfants, enceinte du quatrième...
Ils me firent la bise comme si hier était mes 17 ans.
Le blâme muet
devant ma vie si différente (non, je n'ai pas fait d'études, oui, j'ai
divorcé deux fois...). Je n'ai jamais pu faire qu'ils soient fiers de
moi. Ah là là, ça fait le bonheur des psy, je vous le dis!!
Par la
suite je connus un passage difficile dans ma vie. Et j'étais si mal que
je finis par trouver un moyen de m'évader de ma tête, passer un de ces
concours que l'on me proposait depuis si longtemps. Cela m'occupa
quelques mois, je ne craignais plus aucun échec, puisque l'on ne meurt
même pas d'un chagrin d'amour. J'eus mon concours. Il en fut fier
(quelle drôle d'idée pourtant, ce n'était qu'un concours!). Au même
moment, mon Père prit connaissance de sa tumeur au cerveau. Il cerna
vite le devenir de la maladie. M'appela.
"Ton frère et ta soeur ne
me laisseront pas être libre jusqu'au bout. Je refuse d'être diminué,
tu le sais, je l'ai toujours dit. J'ai bien vécu, je peux partir. A toi
de faire respecter cela, je sais que je peux compter sur toi.
S'il-te-plaît."
" Oui, je le ferai." Il m'éduqua, bien, je me devais de l'en remercier.
Pas
toujours facile de dire à sa Mère, le plus doucement possible, tu sais,
il ne voulait pas, t'en souviens-tu ? Oui, les chirurgiens disent, mais
lui... Une opération. Une seule. Et s'il en est diminué nous ne le
laisserons pas, je te promets.
Je pus le voir. Il m'a pris la main,
m'a dit ces simples mots "Je suis fier de la vie que tu as su mener."
Je l'ai ramené chez lui une dernière fois, il a pu admirer ses azalées
flamboyantes. M'a dit "Repars, tu as de la route à faire. Merci d'être
venue".
L'hôpital nous appela quelques jours après. Soeurette et moi
partîmes bien vite. Nous arrivâmes juste après qu'il soit mort, comme
un grand, tout doucement, avec la main de sa femme, ma mère, dans
la sienne. J'ai pu embrasser sa joue encore chaude. Et lui dit en
dernier clin d'oeil "Toujours pressé, papa, tu n'as même pas pu nous
attendre". C'est la première fois depuis si longtemps que je l'appelais
"Papa"...
Et j'ai aussi promis à ma mère que jamais je ne les laisserai la diminuer.
Faire la paix avec ceux qui partent est un grand bonheur.